Les Provinciales par Jean-Michel Acchiardo

 

Par Jean-Michel Acchiardo

Elections provinciales en Nouvelle-Calédonie du 12 mai 2018 :

alors que les indépendantistes manquent de peu la majorité au Congrès du Territoire, le dégagisme sévit au sein des partisans du maintien dans la France !

 

NDLR : L’ami Jean-Michel, est également l’auteur en décembre 2014 dans ces colonnes d’un Numéro spécial hors-série (« Spécial Nouvelle Calédonie ») consacré à la situation institutionnelle de ce magnifique territoire  (https://francoisbraize.wordpress.com/decoda-n25-hors-serie-special-nouvelle-caledonie/) ; on s’y reportera au besoin si l’on souhaite voir reprécisées les règles et calendriers sophistiqués mis en place par les accords de Nouméa pour gérer politiquement  dans le consensus, alors que les positions sont radicalement antagonistes, un processus et une vie politique locale dès lors nécessairement complexes ; plus récemment, le 9 novembre 2018, il a commenté dans nos colonnes les résultats du référendum de novembre 2018 (voir à ce sujet son billet « Le coup passa si près que la chapeau tomba… » ; https://francoisbraize.wordpress.com/le-coup-passa-si-pres-que-le-chapeau-tomba/)

 

L’un des principaux enseignements de ces élections provinciales est que l’on a assisté ce dimanche 12 mai en Nouvelle Calédonie, à un grand chamboulement côté non indépendantiste, la droite « classique » humiliant la droite « modérée » en Province Sud, la plus importante des institutions locales en raison du poids économique et démographique de la région.

Par ailleurs, au sein de la mouvance indépendantiste, la prépondérance de « l’UNI-Palika »[1]continue de prévaloir en Province Nord par rapport à sa rivale de l’ »Union Calédonienne » composante du FLNKS et héritière de Jean-Marie Tjibaou, qui reste toutefois devant en Province des Iles bien que perdant deux sièges.

Autre fait majeur, un nouveau parti, le « Réveil océanien », parti communautaire assumé s’adressant à la population wallisienne et futunienne, est parvenu à sortir son épingle du jeu en Province Sud où la communauté wallisienne et futunienne, plus nombreuse que dans leurs îles d’origine, est fortement implantée[2].

Enfin, il faut également retenir que les non-indépendantistes, quoiqu’en recul, devraient conserver la majorité au Congrès du Territoire[3], faisant ainsi obstacle aux prétentions des indépendantistes qui espéraient renverser la situation, fort de leurs bons résultats lors du référendum du 4 novembre 2018. C’était l’un des grands enjeux de ces élections.

Telles sont les principales conséquences de ce scrutin, que l’on peut examiner avec un peu plus de précisions après avoir replacé ces élections dans le cadre des institutions de la Nouvelle Calédonie.

 

Le contexte

Les élections provinciales sont traditionnellement suivies par les calédoniens car elles déterminent la composition des institutions du pays dont l’organisation s’inscrit dans une sorte de construction gigogne :

  •  elles alimentent d’abord les Assemblées de Province (76 membres), qui ont une compétence de droit commun en intervenant sur toutes les matières qui ne relèvent pas de l’Etat ou du Congrès, comme par exemple l’enseignement primaire, le développement économique, les autorisations minières, la protection de l’environnement…
  •  ce sont ensuite les membres du Congrès (54) organe législatif du pays qui vote les délibérations et les lois de pays portant par exemple sur la fiscalité, la règlementation des prix, la procédure civile, les règles d’urbanisme etc., qui sont issus de ces assemblées provinciales ;
  •  c’est enfin un Gouvernement collégial (entre 5 et 11 membres) qui est élu à la proportionnelle par le Congrès, et dont le rôle est d’exécuter les délibérations et les lois de pays, sur lesquelles il a aussi l’initiative.

C’est dire l’importance de ces élections provinciales qui conditionnent la vie du pays, si on exclut les matières régaliennes toujours de la compétence de l’Etat, représenté par un Haut- Commissaire.

Elles revêtaient en outre une dimension toute particulière aujourd’hui comme étant les dernières avant la sortie de l’Accord de Nouméa[4]qui s’achèvera avant la fin de cette mandature de 5 ans.

A ce titre il est légitime de penser que les forces politiques les mieux représentées pèseront davantage dans les futures négociations qu’il faudra préparer avec Paris, comme vient de l’indiquer Edouard Philippe qui peut se satisfaire de la bonne tenue de ces élections à l’image de celle du référendum.

Pourtant seulement 66% d’électeurs se sont déplacés soit le plus faible taux jamais enregistré dans ce type d’élection[5].

Faut-il y voir la lassitude du citoyen face à la démocratie représentative à l’image des fâcheuses péripéties métropolitaines ? On peut y voir pour le moins[6]un certain désintérêt de l’électeur qui ne se mobilise vraiment que lorsque l’enjeu lui paraît important[7]comme le fait finalement l’électeur métropolitain pour les présidentielles.

 

Quoi qu’il en soit, les résultats ont apporté leur lot de nouveautés : la « purge » est à la mode !

. En Province Sud

« L’avenir en confiance » émanation de la droite historique en Nouvelle-Calédonie et héritière de Jacques Lafleur, sort grand vainqueur. Ses élus veulent « purger » (sic) ce qu’ils considèrent comme une menace notamment pour l’économie du pays en organisant au plus tôt les 2èmeet 3èmeréférendums prévus par l’Accord de Nouméa[8]!

Revenus aux affaires ils entendent bien mener la politique libérale qui leur a tant manqué ces cinq dernières années où « Calédonie Ensemble »[9]régnait en maître. Ils ont su s’entendre et mettre de côté leurs ambitions personnelles (jusqu’à quand ?) pour créer une coalition propre à faire tomber les sortants.

La déculottée est sévère pour l’ex-parti majoritaire : il passe de 16 élus (sur 40) à 9 tandis que « L’avenir en confiance » passe de 17 à 20[10]. Il paye certainement la politique menée par le gouvernement qu’il présidait, qui a fortement déplu aux acteurs économiques et qui n’a pas réussi à convaincre les consommateurs malgré les mesures adoptées pour lutter contre la vie chère[11]en particulier la mise en place d’une TVA locale (la TGC) à la place de plusieurs taxes douanières.

Avec 7 élus le FLNKS talonne désormais « Calédonie Ensemble » dans cette Province, qui voit l’émergence du parti « l’Eveil océanien » avec 4 élus, ce parti communautaire et de circonstance se positionnant bien loin du fameux « destin commun », maître-mot de l’accord de Nouméa !

. En Province Nord

L’UNI-Palika, quoique menacée gagne 1 siège avec 10 élus, l’Union calédonienne restant à 9. Ici aussi « Calédonie ensemble » enregistre un recul spectaculaire en passant de 3 élus à zéro. Une liste non indépendantiste, qui a annoncé se rallier à « l’Avenir en confiance », recueille les 3 derniers sièges de l’organisme.

. En Province des Iles

Entièrement acquise aux indépendantistes faute d’entente entre les partis opposés à l’indépendance, on constate une nette progression de l’UNI-Palika qui gagne 2 sièges (4) sur l’Union calédonienne (6 soit -2)[12]recul vraisemblablement en raison d’une erreur de « casting » de sa nouvelle tête de liste qui n’a pas fait l’unanimité. Le parti Travailliste de L.K. Uregei, qui avait appelé à boycotter le référendum de 2018 et qui incarne la ligne la plus dure chez les indépendantistes, conserve ses deux sièges.

Au total, le Congrès devrait rester non indépendantiste, avec une très courte majorité de 28 voix contre 26, bien que l’on ne puisse exclure qu’une majorité de circonstance (avec 3 élus de l’Eveil océanien sur les 4 de la Province Sud qui « montent » au Congrès) vienne, selon les sujets, troubler le jeu.

Les calédoniens attendent désormais que les élus prennent leurs responsabilités et fassent passer l’intérêt du pays avant les traditionnelles querelles d’égo et les prises de position partisanes tant sur le plan politique qu’économique, dans le Clochemerle calédonien.

Finalement, ces élections n’auront pas levé les doutes et la perplexité dans lesquelles se trouvaient les calédoniens, en particulier non indépendantistes, à l’issue du référendum du 4 novembre 2018.

 

Dernière minute :

Les élections des Présidents de Province se sont déroulées vendredi 17 mai et Sonia Backès, tête de liste « L’avenir en confiance » a été élue dans le Sud (23 voix) avec l’abstention notable de « Calédonie ensemble », l’inamovible Paul Néaoutyine de l’UNI a conservé son poste à l’unanimité en Province Nord et enfin, la tête de liste controversée de l’UC-FLNKS, Jacques Lalié a pris le poste en Province des Iles avec néanmoins 12 voix sur 14, l’UNI-Palika joignant notamment ses voix à celles de l’UC.

« L’Avenir en confiance » s’étant accaparé l’ensemble des postes de direction en Province Sud, de forts remous sont à prévoir du côté de « Calédonie Ensemble » qui s’estime lésée et qui a d’ores et déjà refusé la main tendue de Sonia Backès qui lui proposait le poste de Président du Congrès, considérant cette offre comme une aumône, car souhaitant le poste de Président du Gouvernement.

Le verrou du clivage « pour ou contre l’indépendance » pourrait donc bien sauter au Congrès… si, bien sûr, « Calédonie ensemble » franchit le Rubicon en votant pour un indépendantiste ou en s’abstenant ce qui reviendrait au même…

 

 

Notes de bas de pages

[1]Composante la plus à gauche du front indépendantiste, mais aujourd’hui moins radicale que dans le passé.

[2]22 000 wallisiens et futuniens vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 (recensement) contre 11 500 (recensement de 2018) dans les îles d’origine.

[3]Sous réserve que le nouveau parti communautaire respecte ses engagements de campagne et que l’entente se réalise au sein des deux fractions rivales non-indépendantistes, ce qui n’est pas acquis si l’on en croit les premières rumeurs et déclarations !

[4]Sur l’accord de Nouméa se reporter aux Archives de DECODA (décembre 2014).

[5]Les Provinces ont été créées en 1988 à la suite des Accords de Matignon.

[6]Mais, en même temps, sans toutefois avoir la portée mobilisatrice d’une élection présidentielle, les élections provinciales sont pour la Nouvelle-Calédonie, comme on l’a dit, la clé de voûte du système électoral et cette moindre fréquentation des urnes peut inquiéter…

[7]Plus de 80 % pour le référendum du 4 novembre 2018.

[8]Ce qui ne manque pas de sel quand on sait l’attachement des indépendantistes à ces référendums (cf. DECODA billet du 9 novembre 2018 « Le coup passa si près, que le chapeau tomba… »).

[9]Parti de droite modérée, plutôt de centre droit qui prône avec constance le dialogue avec les indépendantistes.

[10]17 si l’on regroupe les deux listes autrefois séparées (8 et 9 sièges chacune) qui se retrouvent aujourd’hui réunies au sein de « L’avenir en confiance ».

[11]Ainsi l’UFC-Que choisir évalue par exemple le panier de la ménagère à plus de deux fois le prix en métropole (causes : éloignement mais aussi manque de concurrence, protectionnisme, coûts de production élevés, marges confuses).

[12]En 2014, la nouvelle tête de liste UC faisait 2 sièges et l’UC seule en avait 6, soit un total potentiel de 8.

 

Texte du billet en fichier joint

Provinciales 2019 en NC VD